LA COUR DE RÉCRÉ 

Le jeudi est identifié clairement comme une randonnée plutôt sportive durant laquelle il n'est pas prévu d'herboriser,  ni de collationner trop souvent. Il est prudent d'être assez souple pour retirer une veste, devenue gênante car vous transpirez abondamment, ou simplement une gourde, sans interrompre le rythme de la marche.

Ce jeudi je voulais évoquer un autre aspect, moins connu, mais très présent ce 14 avril, qui est le caractère "rugueux" de ses participants. Pour cela, revenons aux origines, à la définition de rugueux :

1. "Qui est rude au toucher", qui présente des petites aspérités. Le règlement intérieur de RE m'interdit toute approche de ce type, au moins durant la randonnée donc je ne peux retenir cette définition.

2. Qui est d'un caractère difficile, brusque ; qui manque parfois de modération dans ses propos. Celle-ci me paraît convenir davantage au vécu de l'après-midi. Je pourrais ajouter, pour vous permettre de mieux saisir l'ambiance, ces synonymes : bourru, mordant, piquant, farouche, rude, tranchant, vif, virulent, âpre, cinglant, indocile, intraitable, rocailleux, turbulant, malgracieux et j'en passe ! A ce stade, vous êtes en droit de vous poser la question qui vient aux lèvres de tout un chacun : Mais que fait l'animateur ? Hélas, ne comptez pas sur lui, il correspond à la troisième définition de rugueux : appareil d'artillerie au moyen duquel on enflamme l'étoupille destinée à mettre le feu à une charge de poudre. Vous voyez de suite l'impasse dans laquelle se retrouvèrent les quelques éléments calmes de l'équipée, féminins en majorité suis-je obligée de préciser.

Qu'allais-je faire dans cette galère et pire, qu'allais-je y faire plusieurs jeudis de suite ? Sans doute, un phénomène d'emprise ou le phénomène de même nature que celui qui vous fait appuyer sur une molaire douloureuse ...pour avoir plus mal encore. Pas vous ? Ah bon !

Soyons sérieux, rien de tout cela. Juste le résultat de jeux de rôles dont chaque interprète connaît sa partition sur le bout des doigts, au fil des années de marches communes et ne s'en lasse pas. Une façon de se redire combien combien on s'apprécie et combien on goûte cette ambiance du jeudi. Le groupe a été cependant très "sage" dans la traversée de Ville-en Tardenois afin de ne pas nuire à la réputation de notre guide du jour Robert TRAMONTIN, ancien maire du village.

Qu'on se le dise :

l'atmosphère du jeudi est rude ...ment sympathique

Notre débutant, en animation mais point en réparties, nous avait concocté une fort belle randonnée. Un premier arrêt devant l'église Saint Laurent, construite en pierre de Courville comme notre cathédrale. Ses parties les plus anciennes sont de style roman et datent du XIIe ou XIIIe siècle comme la croisée du transept. Elle est surmontée par une tour carrée avec des baies géminées doubles. La nef, composée d'arcades en berceau brisé, semble avoir été modifiée depuis sa création, avec un chœur au chevet plat, légèrement désaxé. Elle a bien sûr fort souffert pendant la Grande guerre entre le 15 juin et le 18 juillet 1918 notamment. L'édifice a été entièrement reconstruit, à l'emplacement de l'ancienne église, dans des proportions plus modestes et suivant un plan propre à la période de reconstruction. Nous ne pouvions pas rater le lavoir qui n'a pas semblé retenir l'attention de Robert, se préparant à nous faire vivre d'autres batailles que celles de l'eau.

En effet, c'est près du village de Champlat-Boujancourt, au fond d'un vallon, qu'un morceau d'histoire s'offrit à nous devant les ruines de la ferme de Chantereine. Dès 1942, Raymond HUIBAN, propriétaire des lieux, accueillait et ravitaillait des réfractaires du service du travail obligatoire (STO). En mars 1944, ce dernier mit à la disposition de la Résistance, la ferme de Chantereine. Des armes, provenant des parachutages effectués sur les terrains voisins, y furent entreposées avant d'être réparties entre les différents groupes de résistants. Le 25 août 1944, la centaine Davoust s'installa dans la ferme bien que celle-ci fut connue des allemands. Complétement isolée, à découvert, au fond d'une cuvette entourée de bois, cette ferme constituait, selon le médecin-colonel Pourcines, "une véritable souricière". Le 26 août au matin, la centaine Davoust fut renforcée par les groupes de FFI de Fismes et d'Aougny qui constatèrent avec stupeur, qu'il n'y avait pas de service de garde autour de la ferme, que l'arrivée du groupe n'avait pas été signalée et que le plus grand désordre régnait à l'intérieur des bâtiments : matériel antichar resté dans les caisses, notices d'emploi des explosifs égarées.

Au cours de la journée du 27 août arrivèrent individuellement ou en petits groupes, des homes et des femmes, souvent très jeunes, venus offrir leurs services. Dans l'après-midi, alors que des avions allemands survolaient le site en rase-mottes, plusieurs FFI, les prenant pour des avions américains sortirent de la ferme pour leur faire des signes d'amitié. Malgré les conseils des habitants de Champlat et du médecin-colonel Pourcines, le chef de la centaine Davoust, refusa de donner l'ordre d'évacuer la ferme.

Le 28 août, la ferme fut survolée par un avion suspect puis aussitôt encerclée par plusieurs chars allemands et attaquée par surprise. Cette attaque provoqua la sortie précipitée, sans ordre et sans armes de la plupart des occupants de la ferme, à travers les champs moissonnés, donc à découvert. Dix d'entre eux furent tués dont le plus jeune, Philippe COUTIEZ avait 18 ans.

Epilogue bien triste : le lendemain, 29 août 1944, la région était libérée. 

En 1947, le comité du Souvenir du Maquis de Chantereine érigea un monument de granite sur le site de la ferme.

Après ce regard vers les temps anciens, un miroir nous offrit une photo de groupe inhabituelle. 

Nous avons repris notre route sous le soleil et dans les colzas en fleurs, sur un parcours de 16 km tout en oscillations "dénivelesques" et superbes vues. Un grand bravo et un grand merci à notre animateur du jour !

Signé "L'ombre"