Mardi 27 avril 2021 par Martine
ALERTE PRISE D'OTAGES
L'année 2021 sera-t-elle identique à celle de 2020 ? Pour ceux et celles qui lisent les petites lignes des journaux, vous avez sans doute en tête les nombreux enlèvements de mouches, moucherons. Répétition des disparitions, similitude des victimes, temps de séquestration identique, tout suggère l'œuvre d'un serial killer. Lors d'une rando à Chenay dimanche, notre détective-nature, Lionel, nous mit rapidement sur la piste du coupable.
Il s'agit de l'Arum qui peut aussi, grâce à de faux-papiers se dénommer "Gouet" ou "Pied de veau" et ce n'est pas le seul tour qu'il ait dans son sac. Pied de veau ou langue de bœuf car la forme de sa feuille évoque les traces de pas laissés par les bovins ou la forme de leur langue mais alors pourquoi veau et pas vache ? Encore une discrimination sournoise. 😅Les anglais ont repris avec calf'sfoot. Vous le connaissez sans le connaître car il est discret même s'il peut tapisser le sol de nos forêts, quand il s'y plaît.
La floraison a lieu au printemps mais notre coupable commence par nous sortir une fausse fleur ressemblant à un lys calla et formée d'une grand feuille blanche, soit une bractée ou spathe longue de plusieurs centimètres. Au centre se trouve une sorte de bâton, le spadice. Eclaircissons le terme bractée car vous le connaissez sans le nommer, chez le lys, la fleur de tilleul, et vous allez jusqu'à en grignoter la base chez l'artichaut.
La vraie fleur ou plutôt les vraies fleurs sont en bas, petites, invisibles de l'extérieur, réunies en une curieuse inflorescence. En ouvrant la base de la spathe on découvre une véritable chambre nuptiale.
Les deux sexes sont séparés : les mâles en haut, les femelles en bas. (Bon je ne vais pas me répéter mais là encore, il y aurait bien à dire) L'Arum n'a donc pas opté pour le grand lit double mais pour la chambre à deux lits ou twin-bedroom. Comme pour Tristan et Yseult la séparation est nette mais au lieu de l'épée, c'est un voile de filaments qui sépare les deux lits.
Leur reproduction sexuée est forcément croisée c'est-à-dire que deux plantes sont nécessaires (un Arum ne peut se féconder tout seul). Pour y parvenir, notre coupable a mis au point un piège digne de celui d'une plante carnivore.
Le premier soir, l'inflorescence s'ouvre et les fleurs femelles deviennent fonctionnelles. Le spadice de l'Arum (la grande massue) commence par dégager un parfum...nauséabond, un savant mélange digne des parfumeurs de Grasse : une bonne dose de bouse de vache (ah là on parle bien de vache), un soupçon de viande en putréfaction et une touche d'urine. Une bonne dizaine de composés différents dont la formule est gardée secrète. Ces suaves odeurs attirent à 87% des diptères: mouches ou moucherons avec, largement en tête, des Pyschodidés, petits moucherons(1 à 5mm), très velus, ressemblant à de minuscules papillons de nuit. Les espèces du genre Psychoda se montrent les plus efficaces.
Chacun ses goûts mais cette odeur n'a pas été choisie au hasard, c'est l'odeur des sites de ponte de Psychoda.
Le piège ne s'arrête pas là, encore faut-il disperser l'odeur dans toute la forêt et lutter contre les odeurs d'antimoustique et de crème solaire, dispersées par les randonneurs. Exceptionnellement ce soir-là, l'énergie de la respiration n'est pas stockée mais éliminée sous forme de chaleur par la massue (jusqu'à 25 à 40°C) provoquant la volatilisation des ces substances odorantes ou puantes, comme on voudra.
Vous comprendrez facilement pourquoi le gout est associé, dans le langage des fleurs, au mot ardeur ! Le dégagement de chaleur est tels qu'une condensation se forme sur le spadice au pic de chaleur.
Nos psychodas cherchent à se poser sur la massue et les voilà glissant inexorablement vers le fond. Ils frôlent au passage les fleurs mâles pas encore à maturité et se retrouvent au fond du cornet. Vite, le message circule : remonter en vitesse. Las, des couronnes de poils (des fleurs mâles stériles) situées à l'endroit où le cornet est rétréci, ces poils qui les ont laissé passer si facilement, sont dirigés vers le bas et bloquent tout espoir de fuite surtout quand on cherche à s'enfuir en volant.
La nuit ne va pas tarder et avec elle, le froid, les voilà piégés pour 24h. Soyons honnêtes, grâce à son chauffage intégré, il fait très bon dans cette chambre. Durant une nuit fraiche de printemps, la température peut y atteindre 25°C de plus qu'à l'extérieur.
Les mouches qui ont déjà visité une autre inflorescence sont couvertes de pollen, (vous allez comprendre pourquoi dans la suite du récit de leur captivité) et sont donc des récidivistes de la détention, déposent en gigotant, du pollen sur les fleurs femelles. Et zou, une fécondation gratuite.
Satisfaites, les fleurs femelles délivrent une hormone qui va faire démarrer la maturité des fleurs mâles. L'après-midi du jour suivant, les stigmates des fleurs femelles se flétrissent mais les fleurs mâles, plus haut parviennent à maturité et libèrent leur pollen(bien visible en jaune entre les bords noirs des anthères).
Les poils qui bloquaient la sortie reçoivent une dose d'hormone qui les assouplit. C'est la cohue vers la sortie et au passage, on se prend plein de pollen sur tout le corps.
Certes l'insecte est chargé mais c'est le passage vers la liberté... Juste le temps de se faire alpaguer par une autre inflorescence qui entre en maturité et profitera de ce pollen. Il n'y a pas de leçon en amour, on se fait prendre au piège à chaque fois, ce n'est pas là qu'on apprend de ses erreurs.
Certains de ces séquestrées, ont pris, au péril de leur vie, quelques clichés que voici, témoignant bien des conditions inacceptables de leur détention . En effet, alors que certaines plantes ont la correction, la gentillesse, la politesse, de la jouer gagnant-gagnant en délivrant un savoureux nectar sucré, l'ambiance de la chambre nuptiale est certes, chaude et sucrée mais sans nourriture ni site de ponte. On peut même considérer que cette séquestration leur est défavorable : perte d'énergie inutile, 24h perdues dans la recherche du partenaire alors qu'elles ne disposent que de quelques jours. Même si certaines fleurs n'hésitent pas à tuer leurs pollinisateurs, il nous a semblé important d'alerter la Commission Européenne des droits de l'Homme. A suivre donc.
A la fin, les fleurs fécondées donneront de beaux fruits orangés puis rouges. Chaque baie contient quelques graines.
Attention, ces fruits appétissants sont juste bons pour les oiseaux car toute la plante est toxique. Seul le rhizome qui permet une reproduction végétative (sans faire intervenir de sexe) est consommable. Encore faut-il le cuire 10 fois dans de l'eau chaude pour éliminer toutes les substances nocives. Au final on obtient un féculent nutritif de type pomme de terre un peu sucrée. A conserver pour les temps de grande disette donc.
Merci donc à notre détective nature sans lequel nous serions passés, indifférents, devant ce miracle.
La fédération a obtenu et ce, dès la semaine prochaine, l'autorisation, de randonner à nouveau en groupe de six. Alors
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